Sarcomes à cellules claires des tissus mous: une revue détaillée
Introduction
Le sarcome à cellules claires des tissus mous, connu auparavant sous la dénomination de mélanome malin des parties molles, est une néoplasie de mauvais pronostic affectant essentiellement de jeunes adultes âgés de 20 à 40 ans.1 Cette tumeur est différente du sarcome à cellules claires rénal, qui est une tumeur pédiatrique rare présentant des caractéristiques histologiques très variables et une prédilection à former des métastases osseuses.2 Pour simplifier, le terme de sarcome à cellules claires sera utilisé tout au long de cette revue pour désigner ce cancer des tissus mous.
Le sarcome à cellules claires a été décrit en 1965 par Franz Enzinger comme sarcome non précédemment décrit associé aux tendons et aponévroses, distinct morphologiquement des autres tumeurs malignes touchant ces tissus telles que le fibrosarcome et le synovialosarcome.3 Depuis, de nombreuses avancées technologiques, incluant le caryotype cytogénétique, la réaction de polymérisation en chaine (PCR), l’hybridation de fluorescence in situ (FISH) et les tissus microarrays, ont non seulement permis d’améliorer les outils de diagnostic mais aussi de comprendre la biologie moléculaire et la génétique des sarcomes à cellules claires.4,5 Cependant, de nombreuses questions subsistent quant aux raisons qui conduisent ces mutations génétiques présentent dans les sarcomes à cellules claires à causer une maladie agressive qui est hautement résistante aux chimiothérapies conventionnelles.6
Translocations chromosomiques dans les sarcomes à cellules claires
Les sarcomes auxquels des translocations chromosomiques sont associées, telles que les sarcomes à cellules claires, les tumeurs d’Ewing, et les tumeurs desmoplastiques à cellules rondes, possèdent des translocations chromosomiques non homologues, dans lesquelles deux chromosomes différents échangent des fragments qui apparaissent essentiels dans la progression de ces maladies. Dans la plupart des cas, ces translocations chromosomiques intratumorales génèrent des facteurs de transcriptions majeurs en fusionnant un domaine de liaison à l’ADN d’un facteur de transcription au domaine régulateur d’un facteur de transcription différent, entrainant une expression dérégulée des gènes cibles originaux. De tels événements sont des mutations oncogènes précoces et fondamentales : bien que ces cellules de sarcome portent souvent peu de mutations génétiques, des translocations impliquant des oncogènes régulateurs précoces vont simultanément déréguler un nombre d’oncogènes situés en aval entrainant la progression des cancers. C’est pour le synovialosarcome que ceci a été le mieux caractérisé avec la création du modèle murin de synovialosarcome, dans lequel l’expression conditionnelle de la protéine oncogène fusion SS18/SSX comme seule protéine humaine exprimée dans des myoblastes murins immatures entraine chez les souris le développement de tumeurs présentant la même histologie, et les mêmes changements d’expressions protéiques et géniques rencontrés dans les synovialosarcomes humains.7 De façon similaire, des lignées mésenchymateuses humaines subissent une transformation maligne après expression de l’oncoprotéine de fusion EWSR/FLI1 rencontrées dans la famille de tumeurs d’Ewing.8,9
A l’opposé des profils mutationnels souvent complexes des sarcomes pléomorphes et de la plupart des carcinomes, les sarcomes auxquels sont associées des translocations présentent des changements génétiques qui sont, au moins en théorie, des candidats idéaux pour les thérapies ciblées. Le sarcome à cellules claires porte une translocation t(12;22)(q13;q12) qui produit l’oncoprotéine de fusion EWSR1/ATF1. Si les effets de cette oncoprotéine peuvent être réversés par une thérapie ciblée, la progression tumorale pourrait être stoppée, ce qui améliorerait énormément le pronostic ou potentiellement la guérison des patients souffrant de cette maladie.
Les translocations chromosomiques se produisent lorsque des portions de deux chromosomes sont cassées et que les différentes séquences fusionnent ensemble. Au contraire, la recombinaison chromosomique au cours de la reproduction sexuée implique l’échange de 2 régions identiques (homologues) entre chromosomes. Les translocations chromosomiques peuvent être des évènements relativement communs, mais il est rare qu’elles surviennent au milieu de gènes et produisent des transcripts codant pour des protéines de fusions ayant des séquences provenant de différents chromosomes, au moins dans les sarcomes à cellules claires. Ceci est particulièrement problématique quand ces fusions anormales concernent des facteurs de transcriptions maitres qui contrôlent plusieurs voies de signalisations du contrôle cellulaire qui sont fusionnés de façon permanente à de nouveaux éléments régulateurs.
Le mésenchyme est une forme de tissus connectif non différencié dérivant du mésoderme (Feuillet intermédiaire) au cours de l’embryogenèse. Les cellules mésenchymateuses ont le potentiel de se différencier en différents tissus tels que les muscles, les os, les tendons. Par définition, les sarcomes sont des cancers des tissus dérivant du mésoderme et implique une transformation oncogénique de cellules mésenchymateuses. De nombreuses expériences ont tenté de reproduire artificiellement la transformation oncogénique dans des cellules mésenchymateuses en introduisant des mutations connues pour être spécifiques des sarcomes, telles que les translocations, et en observant si les cellules deviennent identiques aux sarcomes attendus. De telles expériences ont été fructueuses pour générer des tumeurs de la famille des sarcomes d’Ewing, groupe de sarcomes survenant dans les os et les tissus mous et généralement causée par une oncoprotéine de fusion EWSR1/FLI1.
Caractéristiques cliniques des sarcomes à cellules claires
La plupart des patients âgés de 20 à 40 ans se présentent avec une masse indolore survenant dans les extrémités distales, plus spécialement les pieds et les chevilles au niveau des tendons et aponévroses.1 La survenue de sarcomes à cellules claires dans des sites tels que les bras, les mains et le tronc est également rapportée.10 Le sarcome à cellules claires est une tumeur profonde et survient très rarement dans le tissu sous cutané ou le derme profond de la peau.1
Le sarcome à cellules claires est une néoplasie localement agressive ayant un taux très élevé de rechute et de métastases (jusqu’à 50 %).1 Les taux de survie à 5 ans rapportés pour cette maladie varient entre 50-67 % mais ces taux ne sont pas représentatifs de la survie à long terme puisque de nombreux patients ont des métastases pulmonaires ou osseuses plus de 5 ans après la résection initiale de la tumeur.3 Les taux de survie à 10 et 20 ans sont de meilleurs indicateurs de la survie de cette maladie et sont de 33% et 10 % respectivement, indiquant que les chimiothérapies actuelles ont une efficacité limitée à prévenir ou guérir les métastases après résection de la tumeur initiale.1,6
Données radiologiques
Le sarcome à cellules claires est habituellement caractérisé par imagerie par résonance magnétique (IRM). Les images en pondération T1 montrent un signal tumoral homogène légèrement plus intense que le tissu musculaire adjacent. Les images en pondération T2, dans lesquelles l’eau donne un hypersignal par rapport au tissu graisseux, montrent un signal tumoral de forte intensité par rapport au tissu musculaire adjacent et ce particulièrement après administration de gadolinium. On pense que le contenu en mélanine des sarcomes à cellules claires peut altérer les intensités des images IRM par rapport aux autres tissus ; toutefois, ces changements ne sont pas assez importants ni spécifiques pour pouvoir faire un diagnostic uniquement par imagerie.
Bien que les sarcomes à cellules claires soient des tumeurs rares, c’est le second type de tumeur des tissus mous du pied et de la cheville chez les patients de 20 à 40 ans, après le synovialosarcome (et en excluant le sarcome de Kaposi); c’est pourquoi la localisation anatomique et la visualisation d’association de la tumeur avec les tendons ou les aponévroses peuvent être des éléments importants pour le diagnostic de sarcomes à cellules claires.10,11 Des invasions osseuses et la présence de nécrose ne sont que rarement mises en évidence, entrainant une sous-estimation du caractère malin de la tumeur avant la biopsie.10
Comprendre l’IRM
Cette technique d’imagerie differencie les tissus en function de leur contenu graisseux et aqueux. Les images pondérées T1 montrent un intense signal dans les tissus graisseux et un faible signal lorsqu’il y a un fort contenu aqueux. Les images pondérées T2, au contraire, augmentent le signal aqueux. Les os apparaissent sombres dans les deux types d’images IRM à la différences des radiographies aux rayons X ou des scanners. Les tumeurs des tissus mous généralement causent une augmentation de vascularisation, elles apparaissent donc souvent accentuées sur les images pondérées T2. Le gadolinium, agent de contraste, est administré afin d’augmenter le signal aqueux dans les vaisseaux sanguins.
Bien que le scanner ait une utilisé limitée par rapport à l’IRM pour imager les sarcomes des tissus mous primaires, il est utile pour suivre la rechute locale et la survenue de métastases pulmonaires.12,13 Les métastases à distance des sarcomes peuvent être identifiées en combinant un scanner corps entier avec une tomographie par émission de positions (TEP). La TEP met en évidence les tissus tumoraux après injection d’un traceur. Les tissus tumoraux apparaissent sous forme d’un signal très intense par rapport aux tissus non tumoraux. En fusionnant un scanner à une image TEP, les radiologues peuvent localiser et suivre les sarcomes à cellules claires dans tout le corps.
Données anatomopathologiques
Grossièrement, les sarcomes à cellules claires sont des tumeurs ovoïdes, pouvant être circonscrites, ayant une croissance lente - ce qui est en contradiction avec leur haut potentiel métastatique1. Ils peuvent présenter des surfaces de coupes rouge/marron ou noires dans une structure typiquement grise ou brune.1,14 Le diagnostic des sarcomes à cellules claires est basé sur l’anatomopathologie et l’immunohistochimie, complétées par des analyses moléculaires (généralement de l’hybridation de fluorescence in situ) pour exclure le mélanome du diagnostic différentiel.5 Les sarcomes à cellules claires présentent des profils de croissances en fuseau 15-17 ou en cellules polygonales. Le cytoplasme est clair ou éosinophile, et des amas cellulaires sont séparés par des cloisons fibreuses, éosinophiles.
Au niveau cellulaire, le degré de malignité des sarcomes à cellules claires peut paraitre trompeur, du fait que les cellules en mitoses sont parfois peu nombreuses et ont des noyaux qui ne sont ni hyperchromatiques, ou pléïomorphes, bien que des variants histologiques existent.1,16 Fait unique dans les tumeurs primaires des tissus mous, des pré-mélanosomes sont présents dans tous les cas de sarcomes à cellules claires1,18 détectables par microscopie électronique. Pour cette raison, en immunohistochimie, les sarcomes à cellules claires sont presque toujours positifs pour les marqueurs du mélanome S-100, HMB45 et melan-A1 bien que la mélanine ne soit pas toujours observée.19
Méthodes Diagnostiques
L’anatomopathologie implique la pose de diagnostic par examen microscopique d’échantillons tissulaires chirurgicalement excisés. Les anatomopathologistes sont souvent capables d’identifier des maladies précises en examinant la forme des cellules et leur mode de croissance. Ceci peut être appuyé par l’immunohistochimie, qui implique l’utilisation d’anticorps pour marquer des échantillons tissulaires. Les anticorps choisis permettent de détecter des protéines clés exprimées par les tissus tumoraux et de les distinguer ainsi d’autres maladies présentant des caractéristiques microscopiques similaires. La technique FISH est un test moléculaire générique qui peut se réaliser sur lames afin de détecter des translocations de gènes, des amplifications ou des délétions qui se produisent dans des maladies telles que le cancer et permet d’affiner le diagnostic dans des cas difficiles.
Les sarcomes à cellules claires présentent des niveaux variés de différenciation mélanocytaire suivant le niveau d’expression des marqueurs mélanocytaires, le nombre de pré-mélanosomes dans le cytoplasme et l’expression de mélanine, un pigment normalement exprimé par les mélanocytes dans les couches basales de l’épiderme.1,17 On pense que les sarcomes à cellules claires dérivent d’un précurseur de la crête neurale commun avec les mélanocytes plutôt que de dériver d’une forme plus différenciée de mélanocytes.19,20 Des données soutiennent l’hypothèse selon laquelle la différenciation et la transformation mélanocytaire des sarcomes à cellules claires viennent d’une suractivation des facteurs de transcription spécifiques des mélanocytes, tels que le facteur de transcription associé à la microphtalmie (MITF) dans des cellules mésenchymateuses provenant de la crête neurale non différenciée.18 Ceci montre encore les similitudes de cette tumeur avec le mélanome, une maladie dans laquelle des amplifications du gène MITF et une surexpression de MITF ont été rapportées.21 Bien que l’on n’ait pas étudié les amplifications de MITF dans les sarcomes à cellules claires, le principal évènement oncogénique est la translocation EWSR1/ATF1.22 Donc, à l’opposé des cancers anaplasiques dans lesquels l’agressivité tumorale est généralement corrélée avec la dédifférenciation, la transformation maligne des sarcomes à cellules claires est probablement liée à une expression augmentée mais dérégulée des gènes de différentiation mélanocytaires dans des progéniteurs mélanocytaires multipotents.
Les cellules de la crête neurale sont des cellules mésenchymateuses provenant de la formation du tube neural au cours de l’embryogenèse précoce. Les cellules de la crête neurale migrent le long du corps pour former de nombreux tissus dont les mélanosomes de la peau. On pense que les sarcomes à cellules claires sont issus uniquement des cellules dérivant de la crête neurale et présentant la translocation oncogénique EWSR1/ATF1 .
Génétique moléculaire
L’aberration génétique rencontrée la plus systématiquement dans les sarcomes à cellules claire est une translocation chromosomique réciproque des chromosomes 12 et 22 qui survient respectivement au niveau de bras chromosomiques q13 et q12, notée t(12;22)(q13;q12). La translocation produit un gène de fusion dans le cadre de lecture du facteur activateur de transcription 1 (ATF1) et de Ewing Sarcoma Breakpoint Region 1 (EWSR1). Cette translocation chromosomique a été décrite au début des années 90 par caryotypage cytogénétique par Bridge et al.23,24 Dans certains cas, des sarcomes à cellules claires peuvent montrer des fusions inhabituelles ou utiliser des partenaires de fusions alternatifs pour EWSR1 tels que CREB1, qui induisent les mêmes changements oncogéniques.25,26 Au cours des dernières années, les translocations de EWSR1 avec ATF1 ou CREB1 ont été confirmé dans plus de 90% des cas analysés par PCR et FISH double couleur.16,25,27,28 Cependant, Pierotti et al affirment qu’un certain nombre de cas localisés dans les tissus profonds et sans aucun antécédent de mélanome ont été mal diagnostiqués comme mélanome et se basent sur l’absence de translocation EWSR1, alors qu’un bon nombre étaient des sarcomes à cellules claires.29 Les cas négatifs pour la translocation EWSR1 et les mélanomes métastatiques montraient tous des amplifications du chromosome 22.
Le variant gastro-intestinal des sarcomes à cellules claires montre quelques-unes des translocations présentes dans les sarcomes à cellules claires des tissus mous, bien que son histologie et son profil d’expression protéique montrent quelques différences. Les sarcomes à cellules claires gastro-intestinaux présentent souvent une architecture de croissance plus hétérogène comprenant des motifs solides, en nids, des motifs pseudo papillaires dans la même tumeur.28 La morphologie des cellules est principalement épithéloïde, avec de gros noyaux et un nombre plus élevé de mitoses. Les sarcomes à cellules claires gastro-intestinaux ne présentent que rarement des marqueurs de mélanome autre que S-100. Pris ensemble, ces caractéristiques suggèrent qu’ils sont certainement une maladie différente du variant des tissus mous plus commune.
Plusieurs points de cassures des translocations t(12;22)(q13;q12) donnent naissance à différents transcripts chimères EWSR1/ATF1, présentés dans la figure 3. Ces différents transcripts ont été caractérisés par analyses PCR utilisant des jeux d’amorces spécifiques de différentes régions de EWSR1/ATF1. Les trois transcripts de fusion les plus communs ont été décrits par Panagopoulos et al. (2002), chacun montrant des points de cassures différents entre les gènes EWSR1 et AFT1.30 Les transcripts 1 et 2 sont de loin les variants de transcripts de fusion les plus communément rencontrés dans les sarcomes à cellules claires.30,31
Jusqu’à présent, 2 gènes partenaires distincts fusionnant avec EWSR1 ont été observé dans les sarcomes à cellules claires, ATF1 étant le plus commun. Antonescu et al. (2006) ont décrit la fusion entre EWSR1 et CREB1, un gène homologue de ATF1, dans des échantillons de patients présentant des sarcomes à cellules claires gastro-intestinaux28. D’autres ont décrit le variant EWSR1/CREB1 rencontré dans d’autres sites que le tractus gastro-intestinal, y compris dans des tissus mous périphériques typiques des sarcomes à cellules claires,16,25-27 remettant en cause le fait que ce variant soit spécifique du tractus gastro-intestinal. A l’inverse, le variant EWSR1/ATF1 a été observé principalement dans le tractus gastro-intestinal.32 Ce variant de fusion moins commun dans les sarcomes à cellules claires ressemble au variant de fusion de type 2 de EWSR1/ATF1 décrit par Panagopoulos et al. Au vu de l’homologie entre ATF1 et CREB1, la fusion de EWSR1 à l’un ou l’autre de ces gènes peut générer des effets oncologiques spécifiques de cette tumeur.
Peu d’autres mutations génétiques ont été rapportées dans les sarcomes à cellules claires. Du point de vue cytogénétique, les cas dans lesquels une translation t(12;22) n’a pas été identifiée, présentent occasionnellement des amplifications du chromosome 22.23,24 Une trisomie 8, et plus rarement une trisomie 2 et une trisomie 7 ont été également observées /décrites comme des changements chromosomiques non aléatoires dans les sarcomes des cellules claires. Il n’a pour l’instant pas encore été définitivement établi que la translocation t (12;22)(q13;q12) exprimant EWSR1/ATF1 est responsable de la transformation en sarcome à cellules claires ; au contraire la protéine de fusion EWSR1/FLI1 des tumeurs d’Ewing, lorsqu’elle est exprimée dans les cellules souches mésenchymateuses dérivant de la moelle osseuse, est idéale pour initier la transformation en cellules présentant des caractéristiques de tumeurs de la famille d’Ewing.8,9 Par comparaison, l’expression de EWSR1/ATF1 dans les cellules progénitrices mésenchymateuses dérivant de la moelle osseuse n’est pas suffisante pour induire la transformation cellulaire et la croissance tumorale dans des modèles de xénogreffes, suggérant que l’expression de EWSR1/ATF1 dans le bon contexte cellulaire (requérant possiblement des cellules dérivant de la crête neurale) puisse être nécessaire.33
Structure et fonction de la protéine EWSR1/ATF1
La translocation dans le cadre de lecture t(12;22)(q13;q12) rencontrées dans les sarcomes à cellules claires génère des transcripts codant pour une oncoprotéine de fusion caractéristique et présentant des similitudes avec celles exprimées dans les tumeurs d’Ewing, les tumeurs desmoplastiques à petites cellules rondes, les chondrosarcomes myxoïdes extrasquelettiques, et dans des variants de liposarcomes myxoides.34 Toutes ces tumeurs expriment des protéines chimères dans lesquelles EWSR1 est fusionné à un domaine de liaison à l’ADN d’un autre facteur de transcription. Cependant, à l’heure actuelle, on sait peu de chose sur l’oncoprotéine de fusion EWSR1/ATF1quant à ses gènes cibles, à l’exception du gène MITF.
L’identification des fonctions de la protéine et des interactions entre EWSR1 et ATF1 dans les tissus non tumoraux et dans des lignées tumorales permettrait d’avoir un aperçu sur cette protéine. La fonction de la protéine native EWSR1 reste très largement élusive, mais plusieurs études ont montré qu’elle pourrait agir à la fois comme activateur et répresseur de la transcription. La structure de la protéine EWSR1, présentée sur la figure 4, est composée d’un domaine C-terminal se liant à l’ARN
Les facteurs de transcription sont des protéines qui se lient aux régions promotrices de l’ADN pour réguler l’expression de gènes. Les facteurs de transcription ont des structures déterminées (les domaines de liaison à l’ADN) qui reconnaissent des séquences de reconnaissance distinctes. EWSR1 n’est pas un facteur de transcription, et il n’est pas supposé se lier à l’ADN ; cependant, la protéine de fusion EWSR1/ATF1 gagne la capacité de se lier et de réguler les gènes cibles de ATF1 qu’elle ne devrait normalement pas réguler.
Les interactions protéine/protéine: en plus de se lier à l’ADN, les protéines se lient aussi à d’autres protéines par des interactions qui se font entre domaines de liaison de protéines. Les interactions protéines/protéines ont plusieurs fonctions ; par exemple les protéines se lient et interagissent pour transmettre des signaux entre la membrane et le noyau cellulaire afin de stimuler la croissance cellulaire et le développement, une voie communément suractivée dans le cancer. Quelques protéines ne sont fonctionnelles que dans un complexe fait de plusieurs protéines liées ensemble, telles que ATF1 et CREB1. D’autres protéines agissent comme échafaudage moléculaire qui soutient ensemble plusieurs protéines qui sans ça n’interagiraient pas ; il se peut que ce soit de cette manière que l’oncoprotéine de fusion EWSR1/ATF1 active fortement la transcription.
La forme native de ATF1, un membre de la famille des facteurs de transcription CREB, est un co-activateur transcriptionnel qui s’hétérodimérise avec CREB1. Les deux lient des séquences spécifiques de l’ADN appelées éléments de réponses à l’AMPc (CREs) quand les niveaux intracellulaires d’AMPc augmentent en réponse à des voies de signalisation.38,39 Le résultat est une activation des gènes induits par l’AMPc, qui sont répandus dans le génome humain.39 L’activité normale du domaine régulateur d’ATF1 et de CREB1 est en partie manquante dans les oncoprotéines de fusion des sarcomes à cellules claires, ce qui implique qu’ils ne sont plus normalement régulés par les niveaux d’AMPc.38,40,41 La portion conservée d’ATF1 contient un domaine de liaison à l’ADN (appelé zip B) qui est responsable de la liaison aux séquences CRE dans les gènes promoteurs.38,41 Les domaines zip B sont répandus dans les protéines se liant à l’ADN, y compris celles de la famille CREB/ATF.38 Effectivement, le domaine d’activation de EWSR1 gagne la capacité de se lier à des promoteurs contenant CRE via la fusion avec le domaine de liaison à l’ADN de ATF1.
L’hypothèse a été émise que l’oncoprotéine de fusion EWSR1/ATF1 des sarcomes à cellules claires agit comme activateur puissant des promoteurs contenant CRE à cause du domaine activateur de la transcription puissant de EWSR1 ce que des analyses computationnelles de profils d’expression des gènes ont confirmé.42 Dans les cellules normales, la transcription des gènes cibles de ATF1 est régulée par un nombre de kinases. Par exemple, la protéine kinase A phosphoryle ATF1 et CREB1 au niveau de leurs domaines induits par les kinases, ce qui entraine l’activation des gènes ciblés via liaison aux protéines se liant à CREB (CBP). CBP est capable de directement modifier le code épigénétique dans la chromatine par acétylation des histones afin de faciliter l’expression des gènes.40,41 Evidemment, le contrôle régional du domaine induit par les kinases d’ATF1 est perdu dans l’oncoprotéine de fusion EWSR1/ATF1 (Figure 4) et il est supposé que la région d’ATF1 présente dans la fusion n’est pas responsable de la liaison de CBP à EWSR1/ATF1. De façon similaire, tout le domaine induit par les kinases de CREB 1 est perdu dans la protéine de fusion EWSR1/CREB1. La capacité de EWSR1/ATF1 d’interagir avec CBP a été confirmée dans de nombreuses études, bien que le site exact de liaison n’ait pas encore été confirmé.41,43 Il a été mis en évidence que une région de EWSR1 située entre les acides aminés 83 et 227, qui contient le site d’acétylation de la lysine (GNK, figure 4) est requise pour l’interaction de CBP. Il est connu que les lysines acétylées interagissent avec des domaines protéiques appelés bromodomaines. Et CBP possède un bromodomaine qui se lie aux lysines acétylées;44 donc il est possible que CBP interagisse avec EWSR1/ATF1 au niveau de ce site d’acétylation.
Le rôle de l’épigénétique dans le cancer est un domaine de recherche relativement récent. Des protéines telles que HDAC, Polycomb, CBP et la DNA méthyltransférase modifient chimiquement l’ADN et les histones de façons qui ne changent pas la séquence de l’ADN. Ces modifications impliquent une acétylation et une méthylation des histones ainsi qu’une méthylation de l’ADN, et peuvent être vues comme un moyen par lequel les cellules décident quels gènes doivent être allumés ou éteints à un moment donné dans un tissu donné. Un mauvais fonctionnement du programme épigénétique peut entrainer une variété de maladies, dont le cancer. Certains sarcomes associés à des translocations (tel que le synovialosarcome) sont connus pour modifier le programme épigénétique et donc déréguler des gènes importants qui activent la transformation oncogénique.
Il a été rapporté que la phosphorylation de la sérine 266 dans la portion EWSR1 de la protéine de fusion EWSR1/ATF1, montré dans la figure 4, est essentielle à l’activation transcriptionnelle.45 Une étude menée par Olsen et Hinrichs montre que la phosphorylation modifiée de la sérine 266 réduit la liaison de EWSR1/ATF1 aux séquences CRE. Ces auteurs ont conclu que la sérine 266 est un composant moléculaire essentiel pour la liaison de EWSR1/ATF1 à l’ADN et à la transactivation de la transcription. Comprendre ces structures de EWSR1/ATF1 peut ouvrir la porte au développement de nouveaux traitements ciblés pour le traitement des sarcomes à cellules claires, ainsi que de plusieurs sarcomes associés présentant des translocations EWSR1 similaires.
Un complexe protéique dérégulant la transcription
Il a été pensé qu’EWSR1 interagit avec un grand nombre de protéines co-activatrices de la transcription.36 Ceci pourrait en partie expliquer l’habilité de EWSR1/ATF1 à activer fortement les gènes induits par AMPc dans les sarcomes à cellules claires, agissant ainsi comme protéine de soutien (échafaudage) pour d’autres co-activateurs de la transcription. SOX10 et CBP sont les principaux candidats comme partenaires du complexe d’activation transcriptionnelle avec EWSR1/ATF1 résultant dans une suractivation des oncogènes situés en aval. En fait, SOX10 est peut être le cofacteur le plus important pour EWSR1/ATF1 requis pour obtenir une forte expression de MITF1 dans les sarcomes à cellules claires,18 attendu que SOX10 active l’expression de MITF1 dans les cellules non cancéreuses, alors que la déplétion de SOX10 dans les sarcomes à cellules claires entraine une diminution dépendante de l’activité de MITF1 dépendante de la dose, même en présence de EWSR1/ATF1. Tous ces résultats suggèrent que SOX10 est nécessaire pour l’expression de MITF1 et que EWSR1/ATF1 agit en conjonction avec SOX10 pour entrainer une expression élevée de l’oncogène MITF dans les sarcomes à cellules claires.
SOX10 est un facteur de transcription essentiel/critique exprimé dans les cellules indifférenciées issues de la crête neurale.71 C’est pourquoi, le fait que les cellules de sarcomes à cellules claires expriment aussi SOX10 appuie la théorie selon laquelle les sarcomes à cellules claires sont issus de cellules de la crête neurale. De plus, si l’activité de SOX10 pouvait être ciblée par une drogue, peut être que les cellules des sarcomes à cellules claires mourraient de façon sélective alors que les cellules non tumorales ne seraient pas affectées chez l’adulte.
D’un autre coté, il est possible que EWSR1/ATF1 puisse aussi médier une répression transcriptionnelle en recrutant des protéines répresseurs pour cibler les promoteurs, de façon similaire à la répression de EGR1 par l’oncoprotéine SS18/SSX dans les synovialosarcomes.46,47 EGR1 est un gène suppresseur de tumeur ciblé par SS18/SSX via son interaction avec ATF2 (un homologue proche de ATF1), avec une répression médiée par des interactions additionnelles avec les histones déacétylases et les protéines Polycomb.46 Bien qu’à l’heure actuelle il ait juste été montré que EWSR1/ATF1 médie uniquement l’activation de la transcription, plusieurs études ont décrit des fusions de facteurs de transcription et complexes associés similaires qui sont capables d’activer ou de réprimer la transcription selon le gène ciblé et les cofacteurs recrutés. Un exemple est rencontré dans les leucémies myéloïdes aiguës qui expriment l’oncoprotéine de fusion AML1/ETO.48 De façon similaire à SS18/SSX dans les synovialosarcomes, AML1/ETO forme un complexe avec une protéine se liant à l’ADN pour se localiser sur les promoteurs de gènes et médier une répression de la transcription via des co-répresseurs et HDACs. Cependant, comme dans les sarcomes à cellules claires, l’oncoprotéine de fusion dans les leucémies myéloïdes aiguës peut aussi se lier à CBP/p300, un activateur de la transcription, indiquant une activation de gène. Bien qu’un mécanisme analogue n’ait pas encore été trouvé dans les sarcomes à cellules claires, des gènes cibles contenant CRE tel que le gène de la phosphatase 1 à double spécificité sont connus pour être réprimés dans les sarcomes à cellules claires.
Les cibles oncogéniques de EWSR1/ATF1
Les données issues de profils d’expression des gènes et d’IHC ont identifiés une surexpression anormale de plusieurs oncogènes bien connus dans les sarcomes à cellules claires, tels que ceux codant les récepteurs tyrosine kinase impliqués dans la croissance et la survie c-Kit, c-Met et ERBB3, la protéine anti-apoptotique Bcl2, le facteur de transcription spécifique de la crête neurale SOX10 et le facteur de transcription mélanocytaire MITF.16,18,42,49,50 Ces gènes sont également impliqués dans de nombreux cancers car ils régulent un tronc commun de voies de signalisation cellulaire qui contribuent à la croissance incontrôlée, l’invasion et l’angiogenèse.
Le profil d’expression génique permet aux chercheurs d’évaluer le niveau d’expression d’un grand nombre (>1000) gènes sur des échantillons tissulaires issus de biopsies ou mis en culture en utilisant des micropuces ADN. Les profils d’expression des tissus cancéreux sont comparés à ceux de tissus normaux issus du même patient et/ou à celui du tissu originel dont le cancer est issu afin de voir comment les différences d’expression contribuent à l’oncogenèse. Ceci est une méthode très élégante pour découvrir de meilleurs biomarqueurs diagnostiques (marqueurs génétiques de maladies spécifiques) et d’appliquer des thérapies ciblées et personnalisées.
Il a été montré que peu, voire aucun de ces oncogènes, ne sont des cibles directes de EWSR1/ATF1, à l’exception importante de MITF. En fait, le promoteur de MITF contient un domaine CRE qui se lie à EWSR1/ATF1 et à un site SRY proche par son cofacteur SOX10, ce qui entraine une grande augmentation de son expression.18 De plus, ces auteurs ont montré que l’expression de MITF est nécessaire à la fois pour la différenciation mélanocytaire et la survie des cellules de sarcomes à cellules claires in vitro. En empêchant EWSR1/ATF1 de se lier à l’ADN et d’activer la transcription, ils ont observé une diminution d’expression des gènes cibles de MITF, une diminution du niveau d’activité de la tyrosinase (l’étape limitante de la biosynthèse de mélanine) et une diminution drastique de la survie et prolifération des sarcomes à cellules claires. Cependant, Li et al ont montré qu’un promoteur MITF synthétique introduit dans les cellules de sarcomes à cellules claires ou de mélanome ne pouvait être activé par EWSR1/ATF1, reflétant probablement les différences entre le contexte épigénétique et protéique.51
Protéines de fusion EWSR1/CREB1 et EWSR1/ATF1 dans d’autres tumeurs
Les séquences de CREB1 et d’ATF1 sont identiques à 65% et conservent des exons similaires dans les protéines de fusion oncogéniques. Le profil d’expression génique montre que les variants gastro-intestinaux des sarcomes à cellules claires exprimant la fusion EWSR1/CREB1 n’expriment pas les gènes de différentiation mélanocytaires typiques, bien qu’ils expriment SOX10 à des niveaux comparables aux variants des tissus mous des sarcomes à cellules claires.28
Il a été montré que l’histiocytome angiomatoïde fibreux, une tumeur des tissus mous ayant une morphologie cellulaire, un profil d’expression génique et un pronostic clinique très différent des sarcomes à cellules claires présente cependant les translocations EWSR1/ATF1/.52 L’histiocytome angiomatoïde fibreux a un bien meilleur pronostic que le sarcome à cellules claires : dans cette tumeur, la récurrence locale de la tumeur survient chez 10 % des patients et les métastases sont très rares.
L’histiocytome angiomatoïde fibreux est similaire aux sarcomes à cellules claires pour la localisation (extrémités distales de jeunes adultes), mais sont distinct du point de vue histologique. Ces néoplasies présentent des cellules en fuseaux et contient des espaces kystiques remplis de sang entourés par des manchettes lymphoïdes, associées à des tissus sous cutanées plutôt qu’aux tendons.52 De plus, ils ne montrent pas d’expression significative de MITF, GP100, CDK ou MET par IHC à l’inverse des sarcomes à cellules claires. Les analyses histologiques et la présentation clinique devraient permettre d’orienter le diagnostic vers l’histiocytome angiomatoïde fibreux même quand la présence des translocations EWSR1/ATF1 ou EWSR1/CREB a été identifiée.
De façon intéressante, Antonescu et al ont montré que la majorité des histiocytome angiomatoïde fibreux porte plutôt la fusion EWSR1/CREB1 que la fusion EWSR1/ATF1.53 Les données d’expression des gènes montrent que l’histiocytome angiomatoïde fibreux n’exprime pas SOX10 à la différence des sarcomes à cellules claires. Alors que le sarcome à cellules claires montre une expression significative des gènes se rattachant au mélanome, ni l’histiocytome angiomatoïde fibreux ni le sarcome à cellules claires gastro-intestinal n’exprime ces gènes. Il est possible que ces deux tumeurs génétiquement similaires dérivent de cellules progénitrices (ne venant pas de la crête neurale) que le sarcome à cellules claires.
Traitements actuels et futurs des sarcomes à cellules claires
Le traitement conventionnel des sarcomes à cellules claires se limite, dans de nombreux centres, à une résection large de la tumeur et à de la radiothérapie. Seul un faible pourcentage de sarcome à cellules claires répondent au mieux partiellement ou ont une maladie stable après administration des régimes conventionnels de chimiothérapie.6 Cependant, l’identification de la surexpression des oncogènes -Kit, c-Met et ERBB3 dans les sarcomes à cellules claires suggère que les inhibiteurs de récepteurs tyrosine kinase tels que le sunitinib, le crizotinib et les inhibiteurs de EGFR pourraient être des options thérapeutiques.
Chimiothérapie versus Thérapie Ciblée
Il est important de noter la différence existant entre chimiothérapie conventionnelle et thérapie ciblée. Les agents chimiothérapeutiques touchent les cellules en division et donc ne ciblent pas spécifiquement les cellules cancéreuses bien que ces dernières se divisent à un taux plus élevé que la plupart des cellules non-cancéreuses. Donc les chimiothérapies sont le plus efficaces sur des cancers progressant rapidement, mais exercent aussi des effets secondaires sur des cellules normales se divisant rapidement telles que les cellules sanguines et les cellules immunitaires (causant ainsi des anémies et de l’immunosuppression), et sur les cellules du follicule pileux (entrainant l’alopécie). Les thérapies ciblées sont différentes, car conçues pour agir uniquement contre des cibles moléculaires précises impliquées dans la tumorigenèse afin de reverser leurs actions oncogéniques. Comparées à la chimiothérapie, de telles thérapies sont une amélioration puisque elles doivent supprimer et réverser les évènements moléculaires responsables du cancer (par ex une protéine de signalisation constitutivement active), et pas simplement le résultat de ces évènement (c'est-à-dire la prolifération et la division cellulaire incontrôlées).
Les inhibiteurs des récepteurs à tyrosine kinase
Les récepteurs à tyrosine kinase transmettent des signaux prolifératifs au noyau, signaux qui sont généralement trop fortement activés dans les cellules cancéreuses, entrainant une croissance et une division cellulaire beaucoup plus rapide. Les inhibiteurs des récepteurs tyrosine kinase arrêtent la croissance des cellules cancéreuses qui sont dépendantes des signaux prolifératifs suractivés par les récepteurs à tyrosine kinase.
Sunitinib: inhibiteur de plusieurs kinases : du PGDFR, VEGFR, et cKit, tous des récepteurs tyrosine kinases qui contribuent à la prolifération des cellules cancéreuses. Le Sunitinib est approuvé par la FDA pour le traitement des carcinomes rénaux, des tumeurs stromales gastro-intestinales54 et est en cours d’évaluation dans des essais cliniques de phase II pour le traitement de nombreuses tumeurs solides.55,56 Seul un patient ayant un sarcome à cellules claires à localisations multiples a présenté une réponse partielle (diminution de la taille de la plupart des lésions et diminution de la densité tumorale au niveau d’une lésion), après 2 mois de traitement par le sunitinib.57
En 2012, la FDA a approuvé l’inhibiteur de PDGFR/VEGFR/c-Kit pazopanib pour le traitement des sarcomes des tissus mous. Le pazopanib a montré une efficacité à entrainer une inhibition de croissance dans des modèles cellulaires et de xénogreffes des sarcomes à tissus mous et il a pu entrainer des réponses partielles avec des toxicités tolérables dans des essais cliniques de phase II.58–60
Il est possible que les inhibiteurs des récepteurs à tyrosine kinase les plus prometteurs pour le traitement des sarcomes à cellules claires sont ceux ciblant MET, une cible située en aval de MITF qui est surexprimé dans les sarcomes à cellules claires. Un essai clinique de phase II utilisant l’inhibiteur de MET ARQ 197 pour le traitement des sarcomes à cellules claires a été complété61 et un essai clinique de phase II très récent (janvier 2012) mené sur plusieurs types tumoraux et incluant les sarcomes à cellules claires a débuté avec l’inhibiteur de MET crizotinib.62
Les petites molécules inhibitrices
Une alternative attrayante au ciblage des oncoprotéines situées en aval des voies de signalisation est le développement de drogues qui ciblent des interactions co-activatrices de EWSR1/ATF1 telles que celles avec SOX10 et CBP.18,41,50,51 Il y a actuellement un nombre de petites molécules thérapeutiques en cours d’évaluation qui rompent l’interaction entre CBP et CREB1, mais on ne sait pas si ceci empêcherait EWSR1/ATF1 ou EWSR1/CREB1 se liant à CBP.63,64 D’autres inhibiteurs, perturbant l’activité acétyltransférase de CBP/p300, tels que le Lys-CoA-Tat et C646, sont actuellement en cours d’évaluation. Wang et al ont montré que Lys-CoA-Tat et C646 inhibent significativement la croissance de lignées cellulaires de leucémie myéloïde aiguë et peuvent diminuer la survie de cellules tumorales transplantées in vivo dans des souris après traitement par ces drogues.48 De tels inhibiteurs de CBP/p300 capables de perturber les effets oncogéniques de l’activation du gène EWSR1/ATF1 pourraient également être des agents thérapeutiques efficaces dans les sarcomes à cellules claires et d’autres sarcomes des tissus mous similaires, cependant aucune étude allant dans ce sens n’a été rapportée. Aucune petite molécule n’inhibe spécifiquement l’action activatrice de SOX 10, ce qui en théorie pourrait prévenir/empêcher SOX10 d’activer un nombre de voies de signalisation oncogéniques spécifiques de la crête neurale et donc inhiber la progression tumorale.
Les inhibiteurs de HDAC
Dans les synovialosarcomes, Su et al ont caractérisé comment SS18/SSX conduit l’oncogenèse et ont montré que les inhibiteurs de HDAC peuvent cibler et réverser les effets de l’oncoprotéine SS18/SSX, induisant la mort cellulaire dans des cellules de synovialosarcomes in vitro.47 De façon intéressante, les inhibiteurs de HDAC ont montré une efficacité similaire ou plus importante in vitro sur des cellules de sarcomes à cellules claires, un niveau de sensibilité plus important que celui observé pour d’autres sarcomes, cellules mésenchymateuses non malignes, néoplasies hématopoïétiques et épithéliales, impliquant que dans les sarcomes à cellules claires, l’oncoprotéine de fusion pourrait agir (comme c’est le cas dans les synovialosarcomes) via programmation épigénétique des gènes cibles.65 L’utilisation des inhibiteurs de HDAC a été approuvée pour les lymphomes des cellules T cutanées et au cours des essais cliniques n’ont montré qu’une toxicité relativement faible.66-68
Qu’est ce que HDAC?
Les Histones Déacétylases (HDACs) sont des enzymes retirant un groupe acétyl des histones. Les histones sont les principales protéines de structure de la chromatine autour desquelles les doubles brins d’ADN sont enroulés pour compacter le code génétique dans le noyau de la cellule. Le changement dans l’acétylation des histones induit par les HDACs est une des façons dont la structure de la chromatine peut être altérée pour promouvoir ou prévenir la transcription génique. Les HDACs ont le pouvoir de diriger l’oncogenèse en enlevant des groupes acetyl afin d’éteindre l’expression des gènes suppresseurs de tumeur.
Les inhibiteurs de HDAC MS-275 et la romidepsine causent tous les deux l’inhibition de EWSR1/ATF1 et de sa cible MITF dans trois lignées de sarcomes à cellules claires,65 et d’autres équipes ont montré que les inhibiteurs de HDAC tels que le butyrate de sodium, la trichostatine A, et l’acide suberoylanalide hydroxamique (SAHA; vorinostat) inhibent fortement MITF.72 Ces études, parmi d’autres, offrent la preuve scientifique nécessaire pour mener des essais cliniques évaluant les inhibiteurs de HDAC pour le traitement des sarcomes.
Les analyses mécanistiques permettant d’expliquer la susceptibilité particulière des sarcomes à cellules claires aux inhibiteurs de HDAC sont en cours. Dans les leucémies myéloïdes aigues, il a été montré que l’oncoprotéine de fusion AML1/ETO réprimait plusieurs cibles, mais aussi qu’elle activait une sous-classe d’oncogènes en recrutant le co-activateur transcriptionnel CBP.48 Il apparait donc que cette protéine de fusion peut montrer des effets totalement opposés selon le promoteur et les protéines auxquels elle se lie. De façon similaire, le complexe protéique SP1, généralement connu pour être un activateur transcriptionnel, peut également recruter des répresseurs de certains promoteurs avec l’aide des HDACs.69 Bien que EWSR1/ATF1 soit généralement considérée comme un activateur de la transcription, dans les sarcomes à cellules claires, l’oncoprotéine de fusion peut être impliquée dans la répression de gènes suppresseurs de tumeurs essentiels via liaison alternative de co-répresseurs de transcription sur de tels promoteurs ; les inhibiteurs de HDAC peuvent aider en réactivant ces gènes suppresseurs de tumeur. Dans les sarcomes à cellules claires, l’efficacité des inhibiteurs de HDAC peut être expliquée par la réactivation de régulateurs de EWSR1/ATF1, contrecarrant secondairement ses effets oncogéniques. Une troisième possibilité est que la fonction critique de EWSR1/ATF1 soit l’activation d’un répresseur des gènes suppresseurs de tumeur et que cette action inhibitrice soit inversée par les inhibiteurs de HDAC. Cet arrangement serait similaire à la régulation du répresseur NKX2.2 médiée par EWSR1/FLI1 dans la famille de tumeurs d’Ewing,70 dans lesquelles l’effet de l’oncoprotéine EWSR1/FLI1, médié par NKX2.2 et HDACs, est de réprimer la différentiation critique ou les gènes suppresseurs de tumeurs qui sont supposés être actifs.
D’autres hypothèses sont envisageables qui prennent en compte la complexité de la chromatine et le contrôle épigénétique par les protéines modifiant les histones et l’ADN. Au final, des analyses moléculaires détaillées devraient permettre de déterminer laquelle de ces hypothèses mécanistiques est la bonne, expliquant par là même le mécanisme d’action des inhibiteurs de HDAC et donnant des indications sur de possibles améliorations des stratégies thérapeutiques.
Conclusion
Le sarcome à cellules claires est une tumeur hautement maligne touchant les jeunes adultes. Les faibles taux de survie à long terme de cette néoplasie sont en grande partie dus à son absence de réponse aux chimiothérapies conventionnelles. Le diagnostic de cette tumeur est principalement basé sur les observations histologiques de la biopsie complétées par des marquages immunohistochimiques et requérant souvent des tests moléculaires pour évaluer l’expression de EWSR1/ATF1 ou de ses variants afin de distinguer cette tumeur du mélanome malin. Les inhibiteurs de cette protéine de fusion ne sont pas encore disponibles, mais les avancées des connaissances moléculaires de la biologie des sarcomes à cellules claires et des sarcomes ayant une translocation associée peuvent mener au développement de thérapies ciblées, dont certaines d’entre elles sont déjà en cours d’évaluation.